Après la partie concernant la faute et celle à propos des garanties procédurale, on va maintenant s'appliquer à étudier les critiques pouvant être faites sur la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux. En effet, elle n’est pas exempte de toutes observations critiques. Elles concernent le décret du 18 septembre 1989 et des vides peuvent être constatés dans la loi du 13 juillet 1983. Ces textes n’évitent pas les sanctions déguisées.
Critique du
décret du 18 septembre 1989
Le décret permet une inégalité de traitement en fonction de l’origine
territoriale des fonctionnaires territoriaux mais aussi avec les
fonctionnaires hospitaliers. Il pose aussi des difficultés par rapport à la
limite de la manifestation des opinions. On peut, de plus, discuter le fait
qu’il n’oblige pas à un entretien préalable à la procédure disciplinaire avec
l’agent et le fait que l’abandon de poste échappe à la procédure
disciplinaire.
Une
inégalité de traitement en fonction de l’origine territoriale des
fonctionnaires territoriaux
On peut signaler
que le décret installe en quelque sorte une inégalité de traitement en fonction
de l’origine territoriale des fonctionnaires territoriaux. En effet, le conseil
de discipline est une formation particulière de la commission administrative
paritaire. Il existe une commission administrative paritaire dans chaque centre
de gestion et en vertu des articles 15 et 16 de la loi du 26 janvier 1984 et
des articles 2 et 2-2 du décret n°85-643 du 26 juin 1985 relatif aux centres de gestion, certaines collectivités sont affiliées au centre de gestion et à sa
commission administrative paritaire. Les autres collectivités ont dont leur
propre commission.
Par conséquent,
on peut s’attendre à plus d’objectivité de la part du conseil de discipline du
centre de gestion pour une raison très simple : les membres y siégeant ne
sont pas en relation avec l’agent concerné par la procédure disciplinaire.
De plus, dans la
mesure où aucun membre de l’opposition n’est appelé pour siéger dans une
commission administrative paritaire d’une collectivité territoriale, l’agent
traduit dans ce cas, en conseil de discipline, fait face à une absence de
diversité politique dans le traitement de son affaire.
Une
différence de traitement avec les agents de la fonction publique
hospitalière
Il existe une différence de traitement entre les
agents de la fonction publique territoriale et les agents de la fonction
publique hospitalière. Ces deux corps de la fonction publique sont soumis aux
mêmes règles définies par la loi du 13 juillet 1983. Mais le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière prévoit la
possibilité de récusation d’un membre du conseil de discipline, ce qui n’est
pas le cas dans le décret du 18 septembre 1989.
Un manque de
précision concernant les limites de la manifestation des opinions
Comme nous l’avons vu précédemment, la
manifestation d’opinions peut constituer une faute. Conformément à l’article 11
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la liberté
d’expression est limitée « dans les cas déterminés par la loi ». Or,
aucune loi n’est intervenue pour définir les limites de la liberté d’expression
des agents territoriaux et rien n’est précisé dans le statut général de la
fonction publique. Un décret instituant une procédure disciplinaire dont les
conséquences peuvent aboutir à une sanction pour avoir manquer de réserve dans
la manifestation de ses opinions pose des problèmes concernant sa légalité.
L’absence
d’obligation d’organiser un entretien avant le déclenchement de la
procédure disciplinaire
Il a également
été constaté que l’autorité territoriale n’a aucune obligation d’organiser un
entretien préalablement à l’engagement de la procédure disciplinaire. Or, ce type d’entretien permettrait à l’agent de s’expliquer
clairement avec les conseillers de son choix s’il le veut sur sa présumée faute
et obtenir une sanction nettement moins lourde que celle envisagée par
l’administration, voire pas de sanction du tout. Dans la procédure prud’homale,
une conciliation est obligatoire et on pourrait très bien envisager ce genre d’événement
dans la procédure disciplinaire des fonctionnaires territoriaux.
L’abandon de
poste : une faute échappant à la procédure disciplinaire
Ni le décret ni les
lois de 1983 et 1984 ne considèrent l’abandon de poste comme une faute
disciplinaire. Il s’agit d’une création jurisprudentielle considérant qu’il
constitue une faute tellement grave (du fait qu’elle rompt le lien qui unit
l’agent à son administration) justifiant la révocation de l’agent sans respect
des garanties disciplinaires. Dans ce cas, l’agent n’a même pas droit à la
communication de son dossier individuel (voir par exemple, Conseil d’Etat
section, 11 décembre 1998, Casagranda). Néanmoins, une procédure a été dégagée
par la jurisprudence et l’agent doit être mis en demeure de rejoindre son poste
ou de reprendre son service dans un délai fixé par l'administration, et
informer l'intéressé du fait qu'il encourt, à défaut, une radiation des cadres
sans procédure disciplinaire préalable (Conseil d’Etat, M. X, 15 juin 2005).
A noter que le Conseil d’Etat, dans son
arrêt Navenant du 11 décembre 1963, a refusé de reconnaître un simple retard comme un abandon de poste.
Ainsi, la plus
haute sanction disciplinaire étant encourue pour de tels faits, il semble assez
logique que cette faute puisse donner lieu à une procédure disciplinaire
normale.
Les vides de la loi du 13 juillet 1983
Le manque de précisions sur la nature de la faute
Les articles 29
et 30 manquent de précisions sur la nature de la faute. Seul les
articles 25 à 28 nous apprennent que le fonctionnaire doit se consacrer à
l’intégralité de ses tâches, se doit au respect du secret professionnel et au
devoir de discrétion, à l’obligation d’information du public et au respect de
sa hiérarchie.
Pourtant, des
sanctions pour violation du devoir de probité ou manquement à l’obligation de
réserve sont régulièrement prononcées dans la fonction publique territoriale.
On pourrait très bien imaginer l’insertion dans les textes d’un code général de
déontologie comme il en existe par exemple dans la police nationale ou pour les
sages-femmes ou du moins des règles de comportement général.
La nécessité de
tels textes s’explique par le fait que certains fonctionnaires ont des missions
importantes comme la gestion du produit des impôts ou tout simplement la
satisfaction de l’intérêt général. De plus, si les fonctionnaires de catégorie
A peuvent avoir conscience des comportements fautifs, il n’en est pas de même
des fonctionnaires de catégorie C.
Face à ces
insuffisances, de plus en plus de collectivités établissent des règlements
intérieurs, des chartes déontologiques ou encore des chartes qualité dont le
but est d’améliorer le service aux administrés. Si l’on peut saluer ce genre
d’initiative, il faut constater que ces documents n’ont aucun effet juridique
mais qu’il est envisageable que leur non respect puisse servir à l’engagement
d’une procédure disciplinaire et au prononcé d’une sanction, dans le respect
des dispositions statutaires bien évidemment. Se pose alors encore une fois,
l’égalité des agents territoriaux dans ce cadre.
Une sévérité différente entre les avis des
conseils de discipline et les décisions des juridictions administratives en
matière d’alcool
Il faut encore
constater des différences de sévérité entre les décisions des conseils de
discipline et les décisions rendues par les juridictions administratives
notamment en matière d’alcoolisme (voir 1ère partie). Il a été
constaté qu’à cet égard, les conseils de discipline faisaient preuve, en
général, de clémence en prenant en compte la situation personnelle de l’agent
dont l’état alcoolique pouvait s’expliquer par un drame comme la perte d’une
personne chère. La sanction est donc modérée et l’est encore plus lorsque
l’agent a commencé un suivi thérapeutique. Ce n’est pas le cas des juridictions
administratives qui sont nettement moins enclins à prendre en compte certaines
données personnelles de l’agent.
Par conséquent,
les conclusions d’une procédure disciplinaire pour des faits similaires peuvent
être différentes entre un agent dont l’autorité territoriale admet la sanction
et un autre dont l’autorité territoriale la refuse et dont le dossier va jusque
devant les tribunaux administratifs.
Le cas de la sanction déguisée
La procédure
disciplinaire n’évite pas les cas de sanction déguisée bien que l’autorité territoriale
ne peut prononcer d’autres sanctions prévues par le statut général. Dans le cas
contraire, les décisions sont jugées illégales et qualifiées de sanction
déguisée. Cette qualification entraîne l’annulation de la décision. On peut
remarquer que les faits qui ont été qualifiés de sanction déguisée par le juge
administratif ont toutes en commun d’affecter sérieusement l’agent dans sa
situation et dans son emploi.
Ainsi, ont été
qualifiés de sanction déguisée, une nouvelle affectation entraînant une
diminution importante des responsabilités d'un agent (Conseil d’Etat, 21 mars 1986,
ville de Bray-Dunes c/ M) ou encore une affectation sur des fonctions ne
correspondant pas au grade de l'agent (Conseil d’Etat, 11 fév. 1987, ville
d'Hyères c/-M. B).
Dans ce genre
d’affaires, le juge administratif vérifie si la décision a été prise dans
l’intérêt du service et non pas dans le but de sanctionner un agent en le
privant des garanties de la procédure disciplinaires. Par conséquent, il ne
qualifie pas systématiquement toute mesure de réorganisation de service
affectant la situation d’un agent en sanction déguisée. C’est le cas de l’arrêt
du Conseil d’Etat du 28 octobre 1991, Mme R. Dans cet arrêt, il constate que la
décision de réorganisation de service « n'a entraîné aucun changement dans la
situation administrative de Mme R., qui a continué à exercer des fonctions de
la nature et du niveau de celles afférentes à son grade » et par
conséquent, « que si dans sa
précédente affectation elle bénéficiait en fait des congés scolaires, la perte
de cet avantage, auquel elle n'avait aucun droit, ne peut être regardé comme un
déclassement ; que, dans ces conditions, ce transfert, qui correspondait à un
simple changement d'affectation à l'intérieur des service de la commune,
n'avait pas à être soumis aux règles de la procédure disciplinaire, ni à être
précédée de la communication du dossier ou de la consultation de la commission
administrative paritaire ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas
établi ».
De plus, la
juridiction administrative peut qualifier des faits comme étant de simples
mesures d’ordre intérieure comme une décision retirant à un agent la régie de
recettes de la cantine scolaire (Conseil d’Etat, 6 octobre 1995, Commune de
Saint-Soupplets) ou l'attribution de nouvelles fonctions en raison de
l'accroissement de l'activité d'une bibliothèque (Conseil d'Etat, 9 novembre
1992, Mme B).
Conclusion
Il est assez
difficile de classer les faits pouvant être qualifiés de faute du fait de
l’étendue des comportements répréhensibles pouvant donner lieu à sanction. Les
documents, les ouvrages ou parties d’ouvrages traitant de ce sujet adoptent
tous un classement qui leur sont propres même si des points communs existent.
Il est également impossible de déterminer que pour telle faute, telle sanction
est applicable parce que l’autorité disciplinaire a un pouvoir de
discrétionnaire en la matière, parce que la règle de proportionnalité
s’apprécie différemment en fonction des différentes collectivités ou encore
parce que certains agents se donnent les moyens de se défendre et d’autres non.
De plus, nous
avons vu que l’appréciation de la faute pouvait diverger entre les conseils de
discipline et les juridictions administratives. Tel est le cas en matière
d’alcoolisme où les tribunaux se montrent plus sévères mais là aussi, il semble
que depuis quelques années, la jurisprudence fasse preuve d’un peu plus de
clémence mais rien n’indique que cette tendance va se généraliser.
Il faut
également ajouter qu’il est quasiment impossible de connaitre l’étendue des
comportements sanctionnés dans la fonction publique territoriale à l’échelle
nationale dans la mesure où aucune statistique n’existe à ce sujet. On peut
trouver quelques données d’ordre général dans le rapport du Gouvernement au
Parlement sur le contrôle à posteriori des actes des collectivités locales et
des établissements publics locaux pour les années 1999 et 2000. Grâce à ce
document, on sait que parmi les actes transmis au contrôle de légalité portent
dans 30,2 % des cas en 1999 et 29,7 % en 2000 sur des questions de personnel
mais ces actes concernent aussi bien les recrutements, les rémunérations, les
promotions et les sanctions disciplinaires.
Enfin, les
fonctionnaires perçoivent généralement la procédure disciplinaire et la
sanction de façon humiliante qui peut faire naitre à l’extrême un sentiment de
vengeance. C’est un constat d’échec pour tout le monde dans la gestion du
personnel et l’autorité territoriale devrait plus souvent l’envisager comme
ultime recours plutôt que de l’utiliser de manière un peu trop systématique
parfois. Il existe
pourtant des moyens positifs pour stimuler les agents au travail comme par
exemple, la notation, l’avancement ou encore les primes.
Il se pose alors
la question de la formation des élus locaux et des agents à ce sujet. Pour les
agents, et notamment ceux de la
catégorie C , elle devrait insister peut-être lourdement sur
ses obligations et pour les employeurs territoriaux, sur ses propres
compétences.
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